15 janvier 1981

Harar


Chers amis,

Je vous ai écrit deux fois en décembre 1880, et n'ai naturellement pas encore reçu de réponse de vous. En ce même décembre, j'ai écrit que l'on vous envoie une somme de 100 francs, qui vous est peut-être parvenue et que vous emploierez à l'usage que je vous ai dit. J'ai fort besoin de tout ce que je vous ai demandé, et je suppose que les premiers objets sont déjà arrivés à Aden. Mais d'Aden, il y a encore un mois.

Il va nous arriver une masse de marchandises d'Europe, et nous allons avoir un fort travail. Je vais prochainement faire une grande tournée au désert, pour des achats de chameaux. Naturellement, nous avons des chevaux, des armes et le reste.

Le pays n'est pas déplaisant en ce moment : il fait le temps du mois de mai en France.
J'ai reçu vos deux lettres de novembre; mais je les ai perdues de suite. Ayant cependant eu le temps de les parcourir, je me rappelle que vous m'accusiez réception des premiers cent francs que je vous ai fait envoyer.

Je vous fais envoyer cent francs pour le cas où je vous aurais occasionné des frais. Ceci fera le 3e envoi, et je m'arrêterai là jusqu'à nouvel ordre. D'ailleurs, quand j'aurai reçu une réponse à ceci, le mois d'avril sera arrivé.

Je ne vous ai pas dit que je suis engagé ici pour trois ans : ce qui ne m'empêchera pas de sortir avec gloire et confiance, si l'on me fait des misères d'avance. Mes appointements sont de 300 francs par mois, en dehors de toute espèce de frais, et tant pour cent sur les bénéfices.

Nous allons avoir, en cette ville-ci, un évêque catholique qui sera probablement le seul catholique du pays. Nous sommes ici dans le Galla. Nous faisons venir un appareil photographique, et je vous enverrai des vues du pays et des gens. Nous recevrons aussi le matériel de préparateur d'histoire naturelle, et je pourrai vous envoyer des oiseaux et des animaux qu'on n'a pas encore vus en Europe. J'ai déjà ici quelques curiosités que j'attends l'occasion d'expédier.

Je suis heureux d'entendre que vous pensez à moi et que vos affaires vont bien. J'espère que, pour l'avenir, chez vous, cela marchera ainsi, le mieux possible. De mon côté, je tâcherai de rendre mon travail intéressant et lucratif.

J'ai, à présent, à vous donner quelques petites commissions faciles. Envoyez la lettre suivante à M. Lacroix,éditeur, Paris :
Monsieur,
Il existe un ouvrage d'un auteur allemand ou suisse, publié en Allemagne il y a quelques années et traduit en français, portant le titre de : Guide du Voyageur ou Manuel théorique et pratique de l' Explorateur. (C'est là le titre ou à peu près.) Cet ouvrage, me dit-on, est un compendium très intelligent de toutes les connaissances nécessaires à l'explorateur, en topographie, en minéralogie, hydrographie, histoire naturelle, etc., etc..
Me trouvant en ce moment, dans un endroit où je ne puis me procurer le nom de l'auteur, ni l'adresse des éditeurs-traducteurs, j'ai supposé que cet ouvrage vous est connu et que vous pourriez me donner ces renseignements. Je serais même heureux si vous pouviez et vouliez bien me l'expédier de suite, en choisissant le mode de paiement que vous préférerez, Vous remerciant,
RIMBAUD
[...]
Enfin, informez-vous s'il n'existe pas à Paris une librairie de l'Ecole des Mines ; et, si elle existe, envoyez-m'en le catalogue.

A vous de tout cœur,
A. RIMBAUD