2 novembre 1980

Aden


Chers amis, 

Je suis encore ici pour un certain temps, quoique je sois engagé pour un autre poste sur lequel je dois me diriger prochainement. La maison a fondé une agence dans le Harar, une contrée que vous trouverez sur la carte au sud-est de l'Abyssinie. On exporte de là du café, des peaux, des gommes, etc., qu'on acquiert en échange de cotonnades et marchandises diverses. Le pays est très sain et frais, grâce à sa hauteur. Il n'y a point de routes et presque point de communications. On va d'Aden au Harar : par mer d'abord, d'Aden à Zeilah, port de la côte africaine ; de là au Harar, par vingt jours de caravane.

Monsieur Bardey, un des chefs de la maison, a fait un premier voyage, établi une agence et ramené beaucoup de marchandises. Il a laissé un représentant là-bas, sous les ordres duquel je serai. Je suis engagé, à partir du 1er novembre, aux appointements de 150 roupies par mois, c'est-à-dire 330 francs, soit onze francs par jour, plus la nourriture, tous les frais de voyages et 2% sur les bénéfices. Cependant, je ne partirai pas avant un mois ou six semaines, parce que je dois porter là-bas une forte somme d'argent qui n'est pas encore disponible. Il va sans dire qu'on ne peut aller là qu'armé, et qu'il y a danger d'y laisser sa peau dans les mains des Gallas, — quoique le danger n'y soit pas très sérieux non plus.

A présent, j'ai à vous demander un petit service, qui, comme vous ne devez pas être fort occupés à présent, ne vous gênera guère. C'est un envoi de livres à me faire. J'écris à la maison de Lyon de vous envoyer la somme de 100 francs. Je ne vous l'envoie pas moi-même, parce que l'on me ferait 8% de frais. La maison portera cet argent à mon compte. Il n'y a rien de plus simple.
Au reçu de ceci, vous envoyez la note suivante, que vous recopiez et affranchissez, à l'adresse : Lacroix éditeur, rue des Saints-Pères, à Paris. Roche, le... etc..
Monsieur,
Veuillez m'envoyer, le plus tôt possible, les « ouvrages ci-après, inscrits sur votre catalogue: ...
[Liste]
Je serai fort gêné si tout cela n'arrive pas pour le 11 décembre. Par conséquent, arrangez-vous pour que tout soit à Marseille pour le 26 novembre. Ajoutez au paquet le Manuel de Télégraphie, le Petit Menuisier et le Peintre en bâtiments.

— Voici deux mois que j'ai écrit, et je n'ai pas encore reçu les livres arabes que j'ai demandés. Il faut faire vos envois par la Compagnie des Messageries maritimes. D'ailleurs, informez-vous.
Je suis vraiment trop occupé aujourd'hui pour vous en écrire plus long. Je souhaite seulement que vous vous portiez bien et que l'hiver ne vous soit pas trop dur. Donnez-moi de vos nouvelles en détail. Pour moi, j'espère faire quelques économies.

Quand vous m'enverrez le reçu des 100 francs que je vous fais envoyer, je rembourserai la maison immédiatement.

RIMBAUD